ARDENNES
L’idée est ancienne : un retour dans les Ardennes à la redécouverte de lieux d’enfance, de souvenirs, de cette sensation de liberté que j’éprouvais alors, dans cette nature sans réseau, cette zone toujours blanche, qui activait l’imagination ou un ennui sans tristesse.
Les rails ont disparu, envahis par la nature qui depuis longtemps a repris ses droits, se fichant désormais de cette ligne qui à l’époque n’était entretenue que pour des raisons stratégiques. Certains chemins aussi : Le Rouillon Adèle - j’ai découvert il y a peu que ce bout de route de terre qui amenait aux Linières portait le prénom de ma fille - n’est désormais qu’une trace qu’ont recouverts bouleaux et ronces, enchevêtrés.
La terre ocre, jaunâtre – terre de Sienne 44, Ardennes - colore encore les villages et les routes détrempées, en contraste avec cette brume bleue pâle gorgée d’eau qui floute l’horizon et les reliefs, que seuls découpent ces troncs noirs ou blancs d’arbres esseulés.
Et quand ces arbres font forêts, ils vous enveloppent, vous enferment parfois dans une atmosphère aussi libératrice qu’inquiétante.
La petite Maison Blanche, posée là, perdue en fond de vallée est désormais bardée de panneaux solaires et d’extensions sauvages. Les arbres ont été coupés, la maison de vacances est devenue une résidence principale. Elle y a perdu la part de rêves et d’aventures qu’elle suscitait chez moi, il y a 40 ans. Seul le lilas, faisant acte de résistance, et sous lequel était parfois dressée la table le soir me permet de repérer les anciennes limites : le portail inutile, la porte en fer peinte en noir, les cailloux blancs.
Je ne vois plus les mirabelliers, les sapins, les tonnelles. Je n’écoute déjà plus la désormais propriétaire des lieux qui me vante les transformations entreprises depuis 1999.
Je m’éloigne en roulant doucement sur le Rouillon Adèle défoncé par les ornières. Si la maison blanche n’est plus, la vallée, elle, m’enveloppe encore de sa rudesse amicale.
Bertrand Verney, 2 décembre 2021